Présentation d'Haïti
D'autres Cartes et plan de Port au Prince
Superficie : 28 000 km²
Population : 8.5 millions
Densité de population : 300 / km2
Capitale : Port-au-Prince (environ 2,5
millions d’habitants, près de 4 millions pour la conurbation)
Villes principales : Cap-Haïtien, Carrefour,
Gonaïves, Hinche, Jacmel
Langues officielles : Français et Créole haïtien
Monnaie : la gourde (HTG).
1 $ = 38 Gourdes (décembre 2007)
Fête nationale et de l’indépendance : le
01 janvier
Régime : République
Président depuis 2006 : René Préval
Mortalité infantile : 72 ‰
Espérance de vie : 53 ans
Croissance démographique : 2,3 %
Taux de chômage : 32.7%
Taux d’analphabétisme: 48% : 500000 enfants en âge de
l’être ne sont pas scolarisés
Religion (s) : 55% de catholiques, plus de
20% de protestants. Le rite dominant reste cependant la pratique du vaudou qui
façonne les relations au sein de la société haïtienne
Indice de développement humain : 0.475
Population
La population est le fruit d’unions entre différentes races : colonisateurs espagnols et français du 16ème au 18ème siècle, quelques centaines d’Indiens caraïbes (rescapés de l’extermination par les conquistadores lors de la découverte de l’île) et surtout Africains déportés des côtes de Guinée à partir de 1502, puis de toutes les côtes de l’Afrique. Elle est actuellement composée d’une majorité de noirs (95 %), d’une minorité de mulâtres (5 %) et de quelques milliers de blancs.La population haïtienne est jeune : la moitié a moins de 20 ans. On relève une forte proportion d’analphabètes, touchant surtout les populations rurales et les femmes. Un programme d’alphabétisation en créole a été lancé en 1985 par l’église catholique. Estimée à environ 7 millions d’habitants, la population est essentiellement rurale .
Si la densité du pays est l’une des plus fortes d’Amérique Latine ( 261 ha/km2) et si la population semble répartie sur l’ensemble du territoire sans qu’il existe de véritables déserts humains, les densités varient selon les régions. Les zones rurales des plaines côtières, régions du nord-ouest, restent peu peuplées en raison de la faiblesse des pluviosités. Au cours des dernières années, le pays a connu un intense exode vers Port au Prince, et dans une moindre mesure Cap Haïtien (2ème ville du pays).
Une immigration massive est à l’origine de la population haïtienne : migration forcée d’au moins un million et demi d’Africains et migration volontaire de quelques centaines de milliers de Français et autres Européens.
Depuis l’indépendance, Haïti n’a connu qu’une immigration très faible. Par contre l’émigration atteint actuellement un niveau sans précédent. Elle est de trois types : celle des travailleurs agricoles vers les pays voisins (essentiellement la République Dominicaine), celle de certaines élites (Canada, Etats-Unis, France, plusieurs pays africains) et enfin la migration clandestine vers les grandes métropoles d’Amérique du Nord. C’est le phénomène des réfugiés de la mer que tentent d’endiguer les administrations américaines successives. Cette diaspora haïtienne concerne environ deux millions de personnes.
HAITI | FRANCE | |
Population (en millions) | 7,259 | 60 |
Densité (habitants au km²) | 261 | 106 |
Accroissement naturel de la population | 2 | 0,3 |
Indice de fécondité | 4,79 | 1,6 |
Espérance de vie (en années) | 54,4 | 78 |
Urbanisation (en %) | 32,1 | 72,8 |
Climat
Températures | janvier | avril | juillet | octobre |
Port-au-Prince | 25 | 27 | 32 | 27 |
Pluviométrie | janvier | avril | juillet | octobre |
Port-au-Prince | 3 | 15 | 15 | 20 |
Hydrométrie | janvier | avril | juillet | octobre |
Port-au-Prince | 60 | 70 | 50 | 80 |
La répartition des pluies détermine seule les saisons. A Port-au-Prince, la saison sèche s’étend de novembre à mars, la saison des pluies, d’avril à octobre. Les précipitations ont surtout lieu la nuit en saison sèche et plutôt en fin d’après-midi en saison des pluies. Les mois de janvier et février sont toujours les mois les plus frais. Les couvertures et quelquefois les feux de cheminées sont nécessaires à cette époque dans les hauteurs (la Boule et la Montagne Noire par exemple) où le thermomètre peut descendre à moins de 10° C et, certains hivers, la gelée blanche fait une apparition. Les mois de juillet et août sont les plus chauds.
La pluviométrie varie avec le relief. Les moyennes sont indépendantes des cyclones qui éprouvent le plus souvent la partie méridionale du pays. Placée dans la zone de passage des cyclones tropicaux, Haïti est cependant moins exposée que la République Dominicaine car elle ne les reçoit pas de plein fouet.
Située dans les Antilles, la République d’Haïti est la
partie Ouest de l'île de Saint Domingue ; la partie Est étant la République
dominicaine. En 1492, cette île fut "découverte" par Christophe
Colomb qui la nomma Hispaniola. Elle avait alors un important couvert forestier.
Elle était habitée par des Indiens "taïnos" qui furent tués
ou réduits en esclavage.
Haïti a un relief très accidenté : les mornes (montagnes) culminent à
2680 m et il n'y a que de rares plaines. Quelques îles (de la Gonave, de la
Tortue) complètent le territoire principal.
En raison de la croissance démographique, les habitants ont déboisé
massivement les mornes pour augmenter les surfaces cultivables. Aujourd’hui
97% de la forêt primaire a disparu ce qui provoque une grave érosion qui
emporte les sols. Les mornes à nu étant improductifs, la densité de
population dans les zones cultivables est forte.
Le mode de culture hérité de l’époque coloniale provoque un important exode
rural vers les principales villes du pays (Cap Haïtien, Gonaïve et
Port-au-Prince la capitale, qui compte plus de deux millions d’habitants).
Port-au-Prince a vu sa population multipliée par deux depuis 1991. La plupart
des nouveaux arrivants viennent grossir les rangs du bidonville « cité
soleil » situé entre le port et l’aéroport et qui compte à lui
seul 200 000 habitants.
Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde : sur l’indice de développement
humain (IDH) établi par l’ONU, il figure au 153ème rang sur 177 pays.
Ce petit pays, pauvre économiquement mais riche de son histoire et de sa
culture, se trouve confronté à plusieurs grands défis, dont un défi
politique qui vise à créer un véritable Etat-Nation qui permettrait de créer
les conditions nécessaires à l’émergence d’une économie. Et un défi écologique,
avec la nécessité de repenser le modèle agricole vers une agriculture raisonnée
s’inscrivant dans une logique de développement durable.
Après sa découverte, l'île dépourvue de grandes ressources (ni
or, ni argent), sera délaissée par les Espagnols. La présence française date
du XVIème siècle, avec une installation sur l’île de la Tortue, puis sur la
partie nord de l’île. Cette colonie faite d’aventuriers et de pirates reçoit
le soutien du roi de France qui obtient de l’Espagne une souveraineté sur la
partie occidentale de l’île.
Les Français introduiront des cultures coloniales : canne à sucre, café,
cacao et coton. L’île devient riche et à la fin du XVIIIème siècle, elle
est la colonie la plus riche du monde. Elle produit à elle seule 85% de la
production mondiale de sucre. Cette richesse repose sur le travail des esclaves
importés d'Afrique, dans le cadre du commerce triangulaire, et sur le monopole
de l’exportation vers la Rochelle et Nantes.
La révolution française va causer la chute de ce système colonial
esclavagiste. En 1791, les esclaves noirs se révoltent pour que leur soient
appliqués les principes de la révolution « tous les hommes naissent
libres et égaux en droit ». Toussaint Louverture, un régisseur noir
(chargé de l'administration d'un domaine) affranchi, prend la tête de cette révolte.
L’abolition de l’esclavage en 1794 va le rallier temporairement à la
France. Nommé général en chef, il s’empare de la partie espagnole de l’île
et donne une unité politique à l’île de Saint-Domingue. Il légifère seul,
proclame une constitution et gère le territoire de façon de plus en plus indépendante.
Napoléon le perçoit alors comme un rebelle et refuse cette marche vers l’indépendance
en raison de la position stratégique de l’île et de sa richesse économique.
En 1802, l’empire envoie 20.000 soldats pour reconquérir Saint-Domingue.
Malgré l’arrestation de Toussaint Louverture, l’opération est un échec.
Les anciens esclaves parviennent à refouler les troupes de l’empire et le 1er
janvier 1804, le général Jean-Jacques Dessalines proclame l’indépendance de
la République d’Haïti, première République noire au monde et deuxième
Etat indépendant du contient américain.
Mais cet Etat n’est pas accepté par les puissances européennes et les
Etats-Unis voient d’un mauvais œil une république noire qui pourrait donner
des idées aux esclaves américains. La République d’Haïti se retrouve dans
un premier temps complètement isolée.
En 1825, Charles X reconnaît Haïti moyennant le remboursement des terres
confisquées, soit la somme 90 millions de francs-or, ce qui représente une année
de budget de la France de l’époque. Cette dette, très préjudiciable au
futur développement économique du pays, sera payée jusqu’en 1893. Haïti
obtient une reconnaissance sur la scène internationale et se présente comme le
symbole de la dignité noire. Le pays sera très actif pendant le XIXème siècle,
aidant Bolivar dans son combat pour l’indépendance des pays d’Amérique
Centrale. En 1919, Haïti fera partie des membres fondateurs de la SDN (Société
des Nations) par la signature du Traité de Versailles. Plus récemment, Haïti
a aidé la France à faire du français une langue officielle aux Nations unies.
Mais la réalité intérieure du pays ne correspond pas à ce prestige
international : depuis l’indépendance en 1804, le pays n’a jamais connu de
stabilité politique. Peu après le règne de Dessalines, Haïti fut coupé en
deux systèmes politiques distincts : au Nord, une monarchie dirigée par le Roi
Christophe, au Sud, une république dirigée par Pétion. En 1844, la partie
orientale de l’île fait sécession sous le nom de République dominicaine, ce
qui donnera les frontières actuelles à la République d’Haïti. Le pays ne
connaîtra pourtant pas de stabilité politique durable. Haïti sera tantôt
soumis au joug de dictateurs tels les Duvalier père et fils, tantôt sous
occupation américaine ou sous tutelle de l’ONU. Depuis l’indépendance, sur
les 45 chefs d’Etat qui se sont succédés, 28 ont été tués ou renversés
par un coup d’Etat.
La fin du XXème siècle a été très confuse. Le président Aristide qui
constituait un espoir pour les Haïtiens et la communauté internationale, a
installé un régime de terreur par l’intermédiaire de milices appelées chimères.
Des journalistes ont été assassinés et l’opposition violemment réprimée.
Coups d'Etat, opération des Etats-Unis, intervention des Nations unies. Après
la fuite du Président Aristide en 2003, le pays connaîtra de nouveau une
instabilité proche de la guerre civile. Les élections ont été repoussées 4
fois avant de voir René Préval élu à la présidence de la République.
Pour bon nombre d’analystes, le redressement d’Haïti passe par le redémarrage
de l’économie. Ce critère nécessaire semble cependant insuffisant. Le
principal défi que doit relever le pays est la stabilisation de l’Etat et de
ses institutions. C’est l’instabilité politique qui a provoqué la fuite
des industries vers l’étranger. La stabilité est la condition nécessaire et
préalable et la création d’un marché intérieur et du redémarrage économique
du pays.
La banqueroute économique que connaît le pays prend
naissance avec les indemnités d’indépendance imposées par les Français.
Cette charge a constitué une entrave au développement économique du pays et a
continué à peser jusqu’en 1922 en raison d’emprunts extérieurs destinés
à la rembourser. Haïti ne s’en est jamais vraiment relevé.
En 1914 Haïti se trouve économiquement à genoux et l’intervention américaine
l’année suivante n'arrangera rien. Jusqu’à cette date, Haïti n’était débitrice
que d’un seul pays : la France. Durant l’occupation, les Etats-Unis
obligeront Haïti à contracter un emprunt de 30 millions de dollars : emprunt
politique destiné à transférer la dette haïtienne des mains des Français
aux mains des Etats-Unis.
Cette régulière et profonde ingérence économique étrangère n’a jamais
permis l’essor d’une économie nationale et un Etat suffisamment fort. Après
l’indépendance, le pays n’a jamais eu les moyens de se reconstruire. On a
pu dire que « l’histoire d’Haïti est un répertoire de tout ce
qu’il ne faut pas faire pour sortir du sous-développement ». Le
gouvernement d’Haïti se livre aux usuriers qui lui font des avances à des
taux inconnus en Europe et qui appauvrissent le pays en l’endettant tous les
jours d’avantage. La situation économique actuelle est le résultat de
l'utilisation d’Haïti comme terrain de jeu pour des puissances occidentales
qui s’exercent à l’impérialisme.
L’économie haïtienne est essentiellement rurale et agricole, les deux tiers
de la population vivant en milieu rural. L'agriculture, bien qu'elle souffre
d’un manque d’engrais, d’outils et d’irrigation, reste le principal
secteur économique du pays (60% de la population active et 30% du PIB).
Le secteur industriel est faible et se limite au textile et aux usines
d’assemblages. Les entreprises travaillant pour le secteur national survivent
difficilement. Après les coups d’Etat militaires, les firmes étrangères qui
représentaient le tiers de l’industrie du pays en 1987 ont quitté Haïti ou
réduit leurs activités au strict minimum pour cause d’embargo imposé par la
communauté internationale. Cet embargo a eu pour conséquence de multiplier par
cinq le prix de l’essence et de nourrir l'inflation. Depuis 1990, 130
entreprises tournées vers l’international ont fermé leur porte, augmentant
ainsi le flux déjà très important des chômeurs.
Et, contrairement à la République Dominicaine, Haïti ne peut compter sur la
manne touristique. Le Club Méditerranée a fermé son dernier établissement en
2000. La ligne aérienne Paris-Port au Prince a été supprimée.
Enfin, dernière spécificité, l‘importance économique de la diaspora : un
Haïtien sur cinq vit actuellement à l’étranger, soit 2 millions de
personnes : 1 million en République dominicaine, 400.000 aux Etats-Unis,
quelques milliers en France et au Canada. Chaque année, ce sont de 500 millions
à 1 milliard de dollars qui sont envoyés au pays, ce qui représente jusqu'à
25% du PIB, soit 3 fois le budget de l’Etat.
La faiblesse économique conjuguée à la quasi banqueroute de l’Etat et à
une inflation galopante entraîne la dépréciation de la monnaie nationale :
la Gourde. La faiblesse monétaire ne permet pas au pays de rembourser ses
dettes vis a vis des Etats-Unis ou de la France. De ce fait, le pays qui vit grâce
à sa diaspora et à l’aide internationale, se retrouve dans une situation de
profonde dépendance.
1492 : "Découverte" de l'île par
les Espagnols et extermination des populations autochtones
1697 : Partage de l'île entre la France et l'Espagne
1794 : Abolition de l'esclavage
1802 : Rétablissement de l'esclavage par Napoléon
1804 : Indépendance
1844 : Division de l'île en 2 parties : Haïti et République
dominicaine
1915-1934 : Occupation par les Etats-Unis
1957 : Election de François Duvalier
1971 : Jean-Claude Duvalier succède à son père
1986 : Fuite de Jean-Claude Duvalier
1986-1990 : Succession de coups d'Etat
1990 – 1996 : Présidence de Jean-Bertrand Aristide (renversé
par un coup d'État en 1991, il revint au pays le 15 octobre 1994 pour finir son
mandat après trois ans d'exil)
1996-2001 : Présidence de René Préval
2001-2004 : Deuxième mandat de Jean-Bertrand Aristide qui se
termine par sa démission et son exil
2004-2006 : Gouvernement intérimaire
2006 : Election de René Préval
Texte issu du débat entre Gérald MATHURIN, agronome, ancien ministre haïtien de l'agriculture, et Gilles DANROC, OP, le 19 mars 2007 à Montpellier
Pour parler de la paysannerie haïtienne, de son rapport avec le milieu rural, de son écoute des propositions de la communauté internationale sur la modernité, il faut remonter vers la genèse et la formation même de cette paysannerie.
La paysannerie haïtienne provient de la masse d’esclaves
qui a contribué, aux côtés des fondateurs de l’Indépendance, à la
construction de cet Etat-Nation que devrait être Haïti. Au départ, il
s'agissait d'individus, à peine sortis de l’esclavage, analphabètes et sans
référence commune – puisqu'ils provenaient de tribus africaines différentes,
avec des dialectes très éloignés, ce qui entraînait des problèmes de
communication.
Le premier exploit remarquable de cette masse humaine a été de construire une
langue, le créole, à partir des différents dialectes africains, avec des
emprunts à l’espagnol et au français. Cette langue d’échange servira
ensuite pour réaliser la révolution.
Les Haïtiens ont mis au coeur de leur démarche la foi dans la liberté, dans
le sens des libertés citoyennes, et aussi celle de décider eux-mêmes de la façon
de construire leur avenir.
Enfin, ils ont mixé leurs cultures, venues d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique
Centrale, avec la religion catholique, dans le syncrétisme qu'est le vaudou.
Après l’Indépendance, la paysannerie a dû évoluer et
approfondir la langue et la religion qui sont les signes, dans la vie
quotidienne, de cette liberté tant attendue.
Malheureusement, sur le plan international, Haïti a été isolé et pendant
longtemps, la question haïtienne a été absente de la scène internationale.
On n’a pas voulu tenir compte de cette révolution pourtant extraordinaire. Le
pays s'est trouvé dans l'obligation de brader son économie à travers un
commerce illicite en particulier avec les Anglais, les Hollandais, les Américains
et les Allemands.
A l’intérieur, la construction de l'Etat-Nation, qui était fondamentale, et
la mise en route d'un processus d’identification nationale et d'intégration
de la population dans la dynamique au pouvoir pour que l’Etat s’identifie
suffisamment avec la nation, n’ont pas eu lieu. Depuis la mort de Jean-Jacques
Dessalines au Pont-Rouge en 1806, l’effort de mise en œuvre de la nation
s'est estompé.
De ce fait, la nation haïtienne a suivi sa propre voie. Cette proto-paysannerie
a refusé le caporalisme agraire de Toussaint Louverture, de Dessalines et
de Christophe. parce que, pour elle, le projet de l’Etat allait à l'encontre
des intérêts du peuple. L’Etat haïtien voulait remettre en place les
grandes plantations agricoles, les redistribuer aux dignitaires et aux généraux
de l’Armée et prendre les pauvres comme main-d’œuvre dans ces grandes
exploitations. Les paysans ont refusé ce projet et ce modèle de société ;
ils ont préféré prendre les mornes (partir dans la montagne) et
s’installer sur de petites propriétés, développant l'agriculture vivrière
que l'on connaît actuellement. Là est l’essence de cette paysannerie.
La nation haïtienne, dans son fondement véritable, est composée, d’une
part, de gens issus des dignitaires et des anciens colons qui ont eu, tout au
cours de l’Histoire, le monopole du pouvoir et de l’économie, d’autre
part, d'une masse qui s’est réfugiée très loin et qui a su construire une
économie agraire basée sur l’entraide, la solidarité et sur la force du
travail individuel et familial. C’est cette résistance paysanne qui a
construit l'identité nationale, et permis à la société haïtienne de
traverser tout le XIXème siècle et de se maintenir debout pendant le XXème siècle.
Malheureusement, cette paysannerie est aujourd’hui aux
abois. En raison des coups répétés de l’Etat central, des conjonctures économiques
défavorables, des prélèvements qu’elle a dû subir au cours du XIXème siècle,
pour payer la dette de l’Indépendance, et pour financer les guerres
intestines que se faisaient les généraux avides de pouvoir, la paysannerie est
entrée dans un processus de décapitalisation qui concerne non seulement son
bien mais aussi les ressources sur lesquelles reposait sa richesse, c’est-à-dire
la terre qui s’en est allée, suite au déboisement.
Malgré des changements et des revirements de politique, il n'y a jamais eu de
vraie politique visant à reconstruire la paysannerie : pas d’investissement,
pas de formation pour acquérir des techniques permettant de maintenir un niveau
de production adéquat.
De plus, les références identitaires se perdent un peu, d'autant qu'il y a une
agression permanente des cultures occidentales, en particulier nord-américaines,
sur le mode de vie paysan naguère équilibré : naguère, avec son jardin et
les parcelles plus éloignées, le paysan arrivait à maintenir une
autosuffisance alimentaire qui lui donnait une certaine autonomie. Aujourd'hui,
le pays doit recourir à des importations agricoles. En raison de cette dépendance,
sa culture de résistance qui était au cœur même des fondements de la nation
se trouve entamée. C'est une brèche qui s'ouvre et, si rien n’est fait dans
les dix prochaines années, tout ce qui a fait Haïti, tout la culture qui est
enracinée dans la paysannerie (peinture naïve, artisanat, etc.) sera menacé,
faute d’alimentation et d’espace.
On peut remarquer que si les Etats-Unis ont pris pied un peu partout dans la Caraïbe,
à Cuba, en Jamaïque, en République Dominicaine, en Haïti, etc, Haïti
est le seul pays à ne pas jouer au cricket ou au base-ball et à continuer
à jouer au football. C’est une forme minuscule de la culture de résistance
qui a fait Haïti.
Le minimum de fonctionnement d’un Etat-Nation, c’est un
Etat au service de son peuple, de sa nation Malgré les 200 ans d’indépendance
d’Haïti, il n’y a pas encore de constitution d’un véritable Etat-Nation,
puisque la société se construit contre l’Etat. Tandis qu'il y a ce
qu'on appelle un "Etat faible", qui est au service d'une élite et non
de la majorité de la population. Moins de 10% des gens peuvent accéder aux
services de l’Etat, d’après les estimations d’André Corten (voir
bibliographie).
Après la révolution, Haïti a connu un grave isolement ; Napoléon, à la tête
de la première puissance militaire de l’époque, a envoyé deux armées à Haïti
pour y rétablir l’esclavage que la révolution française avait aboli en
1794. Il faut analyser l'histoire pour donner un nouvel éclairage à l'actualité.
Il ne s’agit pas de faire du passéisme, ni de porter des regards nostalgiques
sur la paysannerie haïtienne, mais de voir comment l’Histoire aboutit à un
présent extrêmement complexe, violent et pratiquement sans espoir pour la
paysannerie. On peut se poser la question de l’existence même d’Haïti,
selon le titre du livre de Christophe Wargny (voir bibliographie). On peut
penser que la culture haïtienne va passer par la diaspora qui est très
nombreuse et qu'elle va se maintenir grâce à l’artisanat, la musique, la
peinture : car l’art est structurant pour la société haïtienne.
Pour quiconque a accès aux informations courantes par les
journaux, la radio ou la télévision, la situation d’Haïti est aujourd’hui
illisible et de ce fait, Haïti est devenu un pays totalement étranger.
Pourtant, la République d’Haïti est une république sœur de la République
française, bien qu'il y ait, plus près de la France, des pays qui lui sont
plus familiers, comme l’Algérie ou des pays d’Afrique ; mais Haïti et la
France sont devenus deux républiques pratiquement au même moment, dans un
processus complémentaire de création.
Il faut trouver de nouveaux moyens d’informer, de présenter Haïti et de
sortir de cette succession de clichés qui présentent des paysans sans espoir,
des enfants affamés, que des ONG, bien intentionnées, aident grâce à des
collectes de fonds. Il est temps de passer à autre chose quand on veut
approfondir ce lien France-Haïti, comme défini dans le rapport Debray. Puisque nous sommes deux républiques sœurs, notre destin a une
part commune et doit se fonder sur le respect et la complémentarité.
Aujourd’hui, la paysannerie a besoin d’appui, de support.
Elle a besoin aussi de rationalisation. De même que, pour parler d'Haïti, les
grandes institutions internationales débattent doctement mais préconisent des
solutions rarement appropriées, il faudrait que les organisations
internationales qui se disent alternatives se mettent ensemble pour construire
une large plateforme et mener un débat autour de la résurrection de la
paysannerie haïtienne : les atouts, les contraintes, mais aussi les
besoins d’investissements. Il faut qu’on puisse solliciter à la fois l’Etat
haïtien sur les mesures à prendre et la communauté internationale sur les
besoins fondamentaux de la paysannerie haïtienne et les nécessaires
investissements à faire.
Le meilleur moyen de sauver l'avenir, c'est d’investir dans l’éducation. 60
à 70% des revenus paysans sont investis dans l’éducation des enfants. Les
gens doivent envoyer leurs enfants dans les grands centres urbains ou à Port-au-Prince,
ce qui coûte excessivement cher : hébergement, nourriture, frais de
scolarisation.
90% de l’éducation est privée en Haïti, mais la plus grande partie de cette
éducation privée est faite au rabais : une vraie catastrophe !
Malheureusement, le paysan qui investit dans l’éducation, voit ses enfants
revenir au bout de 10 ou 12 années, sans formation réelle et incapables
d’entrer à l’université publique.
On peut considérer qu'il y a pour un Haïtien deux représentations
de la vie : d'une part, le paysan très mal outillé, travaillant des sols
souvent ingrats, avec des conditions de vie pénibles : une vie que le paysan
considère comme un échec parce qu'il est contraint de rester à sa terre, il
n’a pas réussi à s’en échapper. A l'inverse, il y a celui qui travaille
dans un bureau, sans efforts, avec peut-être la climatisation, une voiture :
l’idéal, une vie réussie.
Quand on met les enfants à l’école, c’est pour qu’ils échappent à la
paysannerie : on est dans un système qui, peu à peu, pousse le paysan à
quitter sa terre. Pourtant la paysannerie a survécu dans des conditions
dramatiques, dans l’arrachement à l’Afrique, dans le système esclavagiste
et colonial, puis sous la dictature et elle a réussi à créer quelque chose.
L’exode rural est extrêmement important - même si Haïti, par rapport à
d'autres pays d'Amérique latine, reste un pays à dominante rurale (2/3 de la
population). Il y a de forts flux de population vers Port-au-Prince qui devient
une ville inmaîtrisable. En raison de la pression démographique en ville, le
pouvoir politique nourrit les populations des bidonvilles avec le "riz
Miami", c’est-à-dire le riz importé, au lieu d'encourager la production
haïtienne.
Après l’exode, il y a l’exil. On quitte la terre, on va
dans les villes, puis à Port-au-Prince et on espère aller au Canada, en France
ou aux Etats-Unis.
La diaspora, très importante (plus de 2 millions de personnes, proportion énorme
pour un pays de 9 millions d'habitants) permet le financement de l’école et
de nombreux services. Toutes les couches sociales sont représentées. Depuis le
temps du Duvaliérisme, les classes moyennes sont parties d’abord; puis les
boat people qui ont, à la fin du XXème siècle, représenté un déplacement
important de gens sans qualification, souvent analphabètes, qui devaient tout
vendre, terre, bétail, maisons, pour payer le passage vers la Floride. Tout le
monde a quelqu’un en diaspora pour le départ duquel il a cotisé. On essaye
de rester en lien avec lui (souvent par le téléphone portable) : il faut
qu’il y ait un retour car c’est un investissement.
La diaspora apporte 1 milliard de dollars par an mais il faudrait peut-être
encourager les transferts par des incitations. Cette diaspora cherche à
consommer des produits "du pays" malgré les normes exigées pour
l'entrée aux Etats-Unis, en France et partout ailleurs.
Après ces 200 ans d’indépendance d’Haïti, comment se
fait-il qu’il n’y ait pas de patrimoine familial qui se transmette pour
constituer une sorte d'assise foncière pour les paysans ? A
l’enterrement d’un paysan qui a réussi, on dépense pratiquement tout ce
qu’il a acquis pendant ses 15, 20, 25 ans de travail, depuis qu’il a un
outil, une terre, une chèvre, etc. Il y a des phénomènes de compensation économique
qui sont extrêmement subtils et compliqués à analyser. Une des raisons que
les ethnologues mettent en avant, c’est que le système esclavagiste et
colonial, c’est ce qu’il ne faut pas faire. Or, ce système était basé sur
l’enrichissement de quelques-uns. Il y a donc une sorte de fonction sociale de
l’enterrement qui consiste à remettre tout à zéro. C’est-à-dire qu’on
n’accumule pas. La question qui se pose est de savoir si on peut continuer à
résister en n’accumulant pas ? La question est ouverte, il faut savoir la
culture reprendre.
Enfin, peut-on aujourd’hui constituer une nation haïtienne où les idées,
les gens peuvent circuler librement et surtout créer quelque chose de positif ?
Une des données fondamentales, c’est le respect d’une paysannerie, qui
malgré son accouchement dans la douleur, a été inventive, a créé des
solidarités.
Mais maintenant, la question de la responsabilité se pose. Chaque fois qu'on
parle d’Haïti, de son histoire difficile, il semble que la responsabilité de
ce qui arrive en Haïti est à l’extérieur d’Haïti. Or les responsabilités
sont partagées. 200 ans, ce n’est pas rien pour un Etat comme la première république
noire. En 200 ans, on peut construire quelque chose et on peut aussi détruire.
C’est ce qui s’est passé. Il faut maintenant faire aussi le bilan des
responsabilités de la situation actuelle, responsabilités enchevêtrées
d’ici ou de là-bas, en France et en Haïti.
Il faut trouver des solutions neuves à partir du respect de cette paysannerie
qui ne peut pas, par elle-même et enclose sur elle-même, s’en sortir.
© Ritimo, Cdtm Montpellier, 2007